La notion de décision illégale créatrice de droits peut s’assimiler, dans certains de ses effets, de l’avantage individuel acquis du droit du travail ou de la notion du droit de créance et d’espérance légitime définie par la Convention Européenne des Droits de l’Homme.
La décision illégale créatrice de droit est la conséquence d’une erreur matérielle d’une administration ( erreur sur l’identité d’un agent, le calcul ou le montant d’une prime, un avancement de grade ou d’échelon, une fonction, une date,..) et l’administration doit alors rectifier l’acte dans le délai du recours contentieux.
Toutefois, si une somme a été perçue indument, l’administration peut agir dans le délai de prescription de 2 ans défini par l’article 94 de la Loi 2011-1978 du 28 décembre 2011. Passé ces délais, sauf en cas de fraude, le droit est acquis.
Le principe de la décision illégale créatrice de droit
La notion de décision illégale créatrice de droit s’applique au moment où une administration publique souhaite annuler ou retirer un acte administratif illégal.
En effet, en Droit Administratif, la jurisprudence constante précise qu’une administration ne peut retirer une décision individuelle explicite créatrice de droits, si elle est illégale, que dans le délai de 4 mois suivant la prise de cette décision, sous réserve de dispositions législatives ou réglementaires contraires, et hors le cas où il est satisfait à une demande du bénéficiaire.
Seul le juge administratif peut déterminer dans son jugement si un acte est ou non créateur de droit.
Ainsi, une décision administrative individuelle illégale non retirée dans les 4 mois de son application est créatrice de droits définitifs. Cela permet à son bénéficiaire de conserver les bénéfices de sa nouvelle situation, par exemple le maintien du versement d’une indemnité ou une prime à un agent qui n’est pas prévue dans les textes réglementaires, le maintien d’un avancement d’échelon ou de grade erroné,…
Toutefois, les décisions individuelles non créatrices de droit peuvent être retirées à tout moment par l’administration : erreur matérielle, actes frauduleux, autorisations précaires,…
Une erreur matérielle est définie si :
– l’administration n’a manifestement pas eu l’intention de prendre la décision qu’elle a formalisée et
– le destinataire de bonne foi ne pouvait, à l’évidence, ignorer qu’elle recélait une erreur matérielle de sorte qu’il n’y a pas lieu de le faire bénéficier d’une situation juridiquement protégée
Cependant, l’article L211-2 du Code des relations entre le public et l’administration indique que les personnes physiques ou morales ont le droit d’être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui retirent ou abrogent une décision créatrice de droits.
Les articles L242-1 et suivants du Code des relations entre le public et l’administration déterminent les conditions d’abrogation et de retrait à l’initiative de l’administration ou sur demande d’un tiers d’une décision illégale créatrice de droit.
Ainsi, l’administration ne peut abroger ou retirer une décision créatrice de droits de sa propre initiative ou sur la demande d’un tiers que si elle est illégale et si l’abrogation ou le retrait intervient dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision.
Les principales jurisprudences de la décision créatrice de droit
Les principales décisions de jurisprudences du Conseil d’État ou de la Cour Administrative d’Appel sur les délais et les procédures de retrait des décisions administratives sont :
– Arrêt N°74010 du Conseil d’État du 3 novembre 1922 – Dame Cachet – sur la définition de la décision illégale créatrice de droits
– Décision N°90NT00456 de la Cour Administrative d’Appel de Nantes du 22 février 1992 sur le respect de la quotité saisissable du salaire d’un agent public
– Arrêt N°197018 du Conseil d’État du 26 octobre 2001 – jurisprudence Ternon – précisant que, sous réserve de dispositions législatives ou réglementaires contraires, et hors le cas où il est satisfait à une demande du bénéficiaire, l’administration ne peut retirer une décision individuelle explicite créatrice de droits, si elle est illégale, que dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision.
– Arrêt N°223041 du Conseil d’État du 6 novembre 2002 sur la décision pécuniaire d’une NBI
– Arrêt N°223027 du Conseil d’État du 29 novembre 2002 précisant qu’un acte administratif obtenu par fraude ne crée pas de droits. L’autorité compétente pour le prendre peut en conséquence le retirer alors même que le délai de retrait de droit commun serait expiré. Il incombe à l’ensemble des autorités administratives de tirer les conséquences légales de cet acte aussi longtemps qu’il n’y a pas été mis fin. Une cour administrative d’appel ne commet donc pas d’erreur de droit en jugeant qu’une autorité administrative ne peut utilement se prévaloir d’une éventuelle fraude entachant la nomination d’un agent pour lui refuser le bénéfice de congés de longue durée.
– Arrêt N°262074 du Conseil d’État du 3 mai 2004 sur la décision pécuniaire d’une indemnité
– Arrêt N°255395 du Conseil d’État du 27 juillet 2005 indiquant que la décision d’une administration qui maintient illégalement le bénéfice de la NBI à un agent de la fonction publique, titulaire d’une décharge totale d’activité pour exercice d’un mandat syndical, est une décision créatrice de droits qui peut être retirée dans le délai de 4 mois suivant son édiction.
– Arrêt N°306084 du Conseil d’État du 6 mars 2009 sur les conditions d’abrogation d’une décision illégale créatrice de droit
– Arrêt N°310300 du Conseil d’État du 12 octobre 2009 sur la décision illégale en cas d’erreur de liquidation
– Arrêt N°309118 du Conseil d’État du 12 mars 2010 sur la décision illégale créatrice de droit sur une erreur sur traitement
– Décision N°09LY02391 du 19 avril 2011 de la Cour Administrative d’Appel de Lyon précisant qu’un contrat de recrutement d’un agent public crée des droits à son profit et ne peut être ni annulé ni remplacé sauf s’il est fictif, frauduleux ou bien s’il comporte une irrégularité.
– Arrêt N°334544 du Conseil d’État du 25 juin 2012 précisant que la décision de l’administration accordant un avantage financier d’une prime de risque mensuelle à un agent public qui, sans avoir été formalisée, est révélée par les circonstances de l’espèce, est créatrice de droits et ne peut être retirée, sauf dispositions législatives contraires ou demande en ce sens de l’intéressé, si elle est illégale, que dans le délai de 4 mois suivant la prise de cette décision.
– Arrêt N°329903 du Conseil d’État du 21 novembre 2012 indiquant que l’acte d’engagement d’un agent pris irrégulièrement peut être retiré par l’administration dans le délai de 4 mois suivant la date à laquelle il a été pris, sans que l’agent contractuel n’ait droit à une régularisation préalable de sa situation. Par contre, si la décision illégale de recrutement n’a pas été retirée dans le délai de 4 mois, l’administration a obligation de proposer à l’agent une régularisation du contrat afin que celui-ci se poursuive régulièrement.
– Arrêt N°342062 du Conseil d’État du 7 janvier 2013 indiquant qu’une décision administrative accordant une promotion et un avancement d’échelon à un agent est créatrice de droits et ne peut être retirée, si elle est illégale, que dans le délai de 4 mois. Par contre, une décision peut être retirée en cas d’erreur matérielle de l’administration.
– Avis N°376501 du Conseil d’État du 28 mai 2014 précisant qu’il résulte des dispositions de l’article 37-1 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000, dans sa rédaction issue de l’article 94 de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 portant loi de finances rectificative pour 2011, qu’une somme indûment versée par une personne publique à l’un de ses agents au titre de sa rémunération peut, en principe, être répétée dans un délai de deux ans à compter du premier jour du mois suivant celui de sa date de mise en paiement sans que puisse y faire obstacle la circonstance que la décision créatrice de droits qui en constitue le fondement ne peut plus être retirée.
– Arrêt N°393466 du Conseil d’État du 13 décembre 2017 indiquant que, sous réserve des dispositions législatives ou réglementaires contraires et hors le cas où il est satisfait à une demande du bénéficiaire, l’administration ne peut retirer une décision individuelle créatrice de droits, si elle est illégale, que dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision.
L’arrêt Dame Cachet de 1922 : La première jurisprudence de la décision illégale créatrice de droit
L’arrêt de Dame Cachet du Conseil d’État du 3 novembre 1922 a défini le principe et la définition de la décision illégale créatrice de droit dans la juridiction administrative.
Dans ce dossier, la justice administrative a considéré qu’aucune considération de légalité ne peut justifier que l’administration ne revienne sur une décision initiale.
Ainsi, dans le cas d’un acte créateur de droit, son retrait est impossible pour une raison d’opportunité : Demoiselle Ingrand, Conseil d’Etat du 21 mars 1947. Toutes les décisions de la jurisprudence administrative rendue dans ce domaine vont placer ce précepte comme un principe général du droit public – PGD.
Lire l’article sur : les PGD – Principes Généraux du Droit
La non-rétroactivité des actes administratifs
Pour assurer la sécurité juridique des administrés, l’article 2 du Code Civil précise que : » La loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif « . Ce principe s’applique au Droit Public et les décisions des autorités administratives ne peuvent décider que pour l’avenir.
Ainsi, une décision créatrice de droit est un acte administratif unilatéral légal ou illégal qui accorde un droit directement ou indirectement au sens d’un avantage, d’une permission, d’une autorisation, d’un retrait de sanction mais qui ne doit pas être de pure faveur, précaire ou révocable, ni une autorisation de police, ni avoir été obtenu par fraude ou jugés inexistants ou négatif.
Les décisions individuelles illégales et créatrices de droit
Les décisions implicites d’acceptation sont précisée par l’article 23 de la loi 2000-321 du 12 avril 2000 qui indique qu’une telle décision peut être retirée, pour illégalité, par l’autorité administrative :
– Pendant le délai de recours contentieux, lorsque des mesures d’information des tiers ont été mises en œuvre
– Pendant le délai de 2 mois à compter de la date à laquelle est intervenue la décision, lorsque aucune mesure d’information des tiers n’a été mise en œuvre
– Pendant la durée de l’instance au cas où un recours contentieux a été formé.
Pour les décisions implicites de rejet, qui se définissent par une absence de réponse de l’administration, la jurisprudence de Dame Cachet continue de s’appliquer et l’administration peut et doit retirer l’acte, pour illégalité, dans le délai du recours contentieux ( Arrêt N°284605 du Conseil d’état du 26 janvier 2007 SAS Kaefer Wanner ).
Pour les décisions explicites, qui de définit par le refus écrit de l’administration, la jurisprudence a été transformée par profondément l’arrêt Ternon du 26 octobre 2001 qui précise que le retrait d’un acte créateur de droit explicite est possible, s’il est illégal et sauf législation ou réglementation spécifique, dans les 4 mois suivant la prise de décision et seulement dans ce délai.
Les décisions pécuniaires sont créatrices de droit, et ne peuvent être retirées au-delà du délai de 4 mois ( jurisprudence Soulier, C.E. 6 novembre 2002), mais peuvent être abrogée si les conditions légales de versement ne sont pas ou ne sont plus réalisées.
En revanche, de simples erreurs de liquidation dans le paiement d’une somme ne sont pas créatrices de droit et l’administration est alors en droit de récupérer les trop-perçus.
Le retrait d’un acte administratif et ses conséquences
Si l’acte est régulier : il ne peut être retiré sauf si une loi l’autorise ou à la demande de l’intéressé.
Si l’acte est irrégulier : il ne peut être retiré que pour des motifs d’illégalités dans le délai du recours contentieux ou de l’instance engagée et en respectant les parallélismes de compétence, de procédures et de formes.
1) Le retrait par l’auteur de l’acte administratif unilatéral :
– le retrait ou annulation de l’acte : La décision retirée est censée n’avoir jamais existé et tous les effets produits disparaissent à l’exception des droits éventuellement acquis.
– l’abrogation est la disparition de l’acte mais sans effet rétroactif.
– la modification, certains effets de l’acte sont supprimés pour l’avenir uniquement.
– la caducité, l’acte existe toujours mais n’a plus d’effet.
2) Le retrait par le supérieur hiérarchique de l’auteur de l’acte :
– le retrait mais avec un pouvoir plus étendu quand des dispositions particulières sont prévues, il peut retirer un acte légal en fonction de considération d’opportunité.
– l’abrogation mais avec l’obligation de retirer un règlement illégal
– la modification mais sans se substituer à son subordonné pour décider en lui-même en ses lieux et place. Le supérieur ne peut qu’ordonner les mesures à prendre.
– la caducité si elle s’inscrit dans son pouvoir de contrôle.
3) Le retrait par le juge administratif :
– l’annulation, les actes annulés pour excès de pouvoir sont censés n’être jamais intervenus. Le juge ne pouvant s’auto-saisir, il faut un recours et que l’acte soit irrégulier.
– la caducité s’il a été saisi.
– l’abrogation ne peut pas se faire par le juge, il ne peut qu’enjoindre l’autorité compétente d’abroger l’acte.
– la régularisation, le juge peut substituer la base légale de la décision, ses motifs et neutraliser les motifs illégaux pour éviter une annulation de l’acte.
Pour aller plus loin
© La rédaction – Infosdroits
zigh
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